24. rio momon, disparition programmée
- Le voyageur de l'extrême !

- 21 févr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 oct.
“Rio Momon, disparition programmée”. À la fois la géographie menacée, la mort lente d’un fleuve, et par extension celle de tout ce qu’il irrigue : la forêt, les peuples, les esprits, les récits. C’est un chapitre sombre, comme une prophétie qui n’a plus besoin de s’écrire : elle est déjà en route. Le fleuve est un symbole du vivant en train de s’effacer, non pas d’un coup, mais par l’accumulation de petites violences silencieuses : pollution, extraction, abandon, indifférence. L'Amazonie Péruvienne n'est pas rose non plus.

Il n’est pas sur toutes les cartes. Le Rio Momon. Un nom doux, presque rond, comme un murmure dans la gorge. Mais quand on le suit, il parle une autre langue. Une langue malade. J’y suis allé un matin brumeux. La pirogue avançait lentement, à travers une eau ni claire, ni boueuse, mais lasse. Des rives abîmées. Des palmiers penchés comme des vieillards fatigués. Des silences entrecoupés de cris d’oiseaux… mais moins qu’avant.

Mon guide m' a dit : "Le fleuve meurt doucement. Comme nous." Un fleuve qui ne proteste pas Pas de grands barrages ici. Pas encore.
Mais des petites coupes. Des déchets. Des eaux sales qui reviennent des campements. La forêt y plonge toujours ses racines, Mais le courant s’essouffle. Et surtout : les poissons ne reviennent plus. Ils changent de bras, de rivières. Ou ils meurent, sans bruit, au fond.

Les gens du bord disent : "Avant, on buvait directement. Maintenant, on filtre. Et parfois on tombe malades quand même." Ce n’est pas une catastrophe. C’est une usure. Pas de drame filmé. Pas de journalistes. Juste une disparition par invisibilité. Par oubli. Un fleuve petit, pas assez rentable pour être protégé. Mais assez accessible pour être exploité.

Les enfants du fleuve. Je me souviens de ces deux enfants, au bord de l’eau. Ils lançaient leurs filets avec méthode. Le plus grand m’a dit : "On attrape plus rien. Maman dit que le fleuve est fatigué." Un fleuve fatigué. Pas pollué. Pas abîmé. Fatigué. Comme une bête qu’on aurait trop montée, trop frappée, sans jamais la laisser dormir. Et après ? Ils savent tous. Les anciens. Les pêcheurs. Les enfants.

Ils voient les poissons partir, les arbres refluer, les bancs de sable avancer comme des cancers lents. Mais ils restent. Parce que c’est chez eux. Parce que on ne quitte pas un fleuve sans quitter une partie de soi. Et moi, étranger de passage, Je suis reparti, sale de vase et de malaise. Avec dans le sac quelques notes. Et dans la gorge, un goût amer.

Celui de l’eau qu’on ne pourra plus boire. Celui du silence qu’on n’a pas su écouter. Il y a des fleuves qui disparaissent sur les cartes. D’autres, dans les ventres vides. Le Rio Momon, lui, disparaît dans l’indifférence. Et c’est peut-être pire. J'y suis retourné 10 ans après ma première visite et je constatais déjà une grande différence.

Belém, village flottant en perdition”. Elle peut marquer un retour brutal au réel social, un portrait d’un lieu entre deux eaux au propre comme au figuré. Ce n’est plus la forêt profonde, ni la ville moderne, mais un monde suspendu, fragile, marginalisé. Un lieu qui flotte, oui, mais qui s’enfonce aussi dans l’oubli, la pauvreté, la décrépitude lente.

À l’approche de Belém, le fleuve s’élargit, devient mer, mais ce n’est pas l’immensité qui frappe. C’est ce qui flotte à sa surface. Des maisons posées sur l’eau Elles sont faites de planches clouées, de plastique recyclé, de tôles rouillées, de ce que la ville a jeté et que la forêt n’a pas voulu. Le village flottant n’a pas d’adresse, pas de trottoir, pas de murs. Il tangue doucement, comme s’il hésitait à rester debout. Une vie entre deux mondes. Ici-bas en saison sèche. En saison des pluie le niveau monte jusqu'à la porte ou la fille est assise !

Ce ne sont pas vraiment des maisons. Ce ne sont plus vraiment des pirogues. Ce sont des refuges provisoires devenus définitifs. Ici vivent ceux qui ont glissé, repoussés par la ville, oubliés par les plans d’urbanisme, et trop pauvres pour monter plus haut sur la terre ferme. Les enfants pêchent avec des bouteilles vides. Leur terrain de jeu, c’est l’eau brune. Leurs jouets, des objets flottants. Parfois, ils rient. Parfois, ils regardent en silence.

Je me suis demandé : Que deviendront-ils ? À quoi rêvent-ils ? Que savent-ils de ce qu’il y a dehors ? Un vieil homme m’a dit : "On flotte, mais on ne vit plus vraiment." Sa peau était marquée par le sel, ses mains par les filets. Il ne parlait pas de pauvreté, mais de lente disparition. Pas brutale. Pas tragique. Juste… inaperçue. Les ordures arrivent avant l’aide. Le plastique est partout. Les moustiques aussi.
L’eau est grise, le ciel souvent bas, et l’odeur… une fatigue.

Belém regarde ailleurs.. La ville, sur ses quais, s’agite : taxis, touristes, bateaux rapides. Mais le village flottant est derrière, caché par un virage, comme un coin de honte qu’on ne veut pas trop voir. Ce n’est pas un naufrage. C’est une lente submersion. Pas de cris. Pas de catastrophe. Juste un monde qui s’enfonce, jour après jour, dans l’indifférence. Et pendant que la ville rêve de modernité, eux, là-bas, tentent de ne pas disparaître entre deux marées.















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