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25. iquitos, génocide oublié

  • Photo du rédacteur: Le voyageur de l'extrême !
    Le voyageur de l'extrême !
  • 20 févr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 8 oct.



C'est avec le caoutchouc que la ville va connaître sa plus grande expansion. L'ère du caoutchouc (rubber boom) commence en 1880 et va durer une trentaine d'années ; inscrite dans une stratégie industrielle de premier plan, son marché est mondial. Cependant, l'exploitation de l'hévéa nécessite une main d'œuvre abondante, devant accepter une mobilité régulière, des conditions de travail difficiles et dangereuses, extrait d'une histoire douloureuse pour les indigènes du Loreto, qui ont largement été décimés par le travail forcé (esclavage) pour la plupart, mais également par les épidémies apportées par les immigrés et les autres travailleurs.

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“Iquitos, génocide oublié”. est un chapitre qui plonge dans la mémoire blessée de l’Amazonie, et plus particulièrement dans l’histoire coloniale et économique brutale qui entoure la ville d’Iquitos jadis cœur battant du commerce du caoutchouc, aujourd’hui silencieuse sur ses fantômes. Une descente dans un passé effacé, un musée invisible où les noms ont été rayés, mais où les cicatrices sont toujours là. Dans les récits murmurés, dans les regards, dans les ruines, dans les non-dits. Investigation sensible, et mémoire collective.

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La chaleur à Iquitos est lourde. Pas seulement celle du climat. Il y a une chaleur plus ancienne, plus poisseuse celle du sang jamais lavé. Je suis arrivé par le fleuve. Ville flottante, ville isolée, ville mouillée de mémoire. Belém qu'elle s'appelle par ici.

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Sur la terre, des motos, du bruit, de la poussière. Et sous les klaxons, sous les façades décrépites, j’ai entendu quelque chose. Un silence étrange. Comme si la ville voulait me cacher son passé. Le caoutchouc a saigné la forêt. Ils appelaient ça l’or blanc. La sève des hévéas. Des arbres pleurés à coups de machette. Transportés, traités, exportés.

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Et autour de ces arbres, il y avait des peuples. Borás, Huitotos, Ocainas... Des noms que personne ne prononce. Des voix qu’on n’entend plus. Dans un café, un vieil homme m’a dit : "Tout ce que tu vois ici, a été construit sur des cris." Des fortunes se sont faites. Des palais, des ports, des bateaux. Et pour chaque tonne de caoutchouc envoyée en Europe, il y avait des morts. Tortures. Enlèvements. Violences. Oubli. On les forçait à récolter. À marcher des jours. À porter. À se taire.

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On brûlait leurs villages. On volait leurs enfants. On violait leurs femmes. On tranchait les mains, comme en Afrique. Et on appelait ça le progrès. Et aujourd’hui ? Iquitos n’en parle pas. On vend des excursions. Des colliers de graines. Des bouteilles d’ayahuasca pour touristes en quête de rédemption. Mais les statues de caoutchoutiers n’existent pas. Les musées évitent certains mots. Les écoliers ne savent pas tout.

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La mémoire a été nettoyée à la machette. Mais la forêt, elle, n’a pas oublié. Chaque fois que je marchais, que je touchais un arbre saigné, que j’entendais une voix Tikuna s’éteindre dans un murmure, je sentais une colère sourde. Pas la haine. Pas la vengeance. Mais une vérité brutale, contenue. Iquitos, aujourd’hui, vit sur une tombe sans croix. Les morts ne demandent pas justice. Juste qu’on dise leurs noms. Et qu’on n’oublie pas. que tout ce confort moderne a commencé là, dans le cri d’un enfant perdu dans la jungle à cause du caoutchouc.

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"On ne répare pas un génocide en changeant de sujet."







“Les dernières tribus autour d’Iquitos”. est une plongée vers la périphérie du monde visible, à la rencontre de peuples qui vivent à la lisière entre la forêt profonde et la ville, entre l’autonomie ancestrale et la pression moderne. Iquitos palpite, bruyante, vivante, traversée de motos, de marché et de promesses. Mais au-delà, à quelques jours de pirogue, la forêt respire autrement.

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Lentement. Profondément. Et dans cette respiration, il reste des voix que le monde n’entend plus. Des peuples, pas des vestiges. On les appelle "tribus isolées", comme s’ils étaient des ruines vivantes, des pièces de musée qui bougent encore. Mais ce sont des peuples complets : avec des langues que personne ne parle ailleurs, des mythes que nul n’a traduits, des chants que la forêt seule comprend.


Il s'est passé 10 ans entre ces 2 rencontres avec la doyenne des Boras sur les rives du Rio Momon.







Borás, Yaguas, Kukamas, Huitotos… Certains vivent encore dans des clairières secrètes, d’autres se sont rapprochés des rives, mais tous vivent avec l’instinct de disparaître sans bruit. Le contact est un piège. Ils ne fuient pas parce qu’ils détestent. Ils fuient parce qu’ils ont vu. Les missionnaires, les exploitants, les promesses d’éducation qui détruisent la mémoire, les vêtements offerts en échange de terres, les médicaments qui soignent… pour mieux attacher.

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Les Boras tiennent le coup et vive toujours dans la forêt.







Certains ont accepté de dialoguer. D’autres se terrent encore. Ils savent : le contact, c’est l’oubli qui commence. Une rencontre, ou presque. Je n’ai pas "rencontré" une tribu. Pas comme dans les livres d’aventure. Mais un matin, dans un bras du fleuve, on a accosté pour remplir les bidons d’eau. Un enfant nous regardait depuis les arbres. Il ne parlait pas. Il nous regardait vivre. Mon guide a murmuré : "Il est Yagua. Ils vivent un peu plus loin, mais ils viennent voir. S’ils veulent." Il est reparti sans bruit. Comme un souffle qu’on ne retient pas.

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Je ne saurai jamais son nom. Mais j’ai croisé un monde qui ne voulait pas être conquis. La forêt comme dernier refuge. Ils vivent encore, mais à reculons. Chaque route qui s’allonge les pousse plus loin. Chaque moteur, chaque boussole, grignote leur invisibilité. Ils ne veulent pas être sauvés. Ils veulent qu’on les laisse vivre. À leur rythme. À leur hauteur.


10 ans après les avoir connus les Yaguas ici-bas, ils étaient sur leurs déclins à notre 2e visite. Au moment d'écrire ces lignes, le village que vous voyez n'est plus habité. Le bâtiment communautaire ou quelques jeunes encore culturellement attachés aux anciens viennent y faire des exhibitions touristiques. J'ai malheureusement vu cette tribu se dissoudre et avaler par le système.

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C'est ici que j'ai vraiment compris ce que les tribus isolées du Javari voulait nous dire en étant hostile envers nous.

Ils savaient que le contact était un piège.


Peut-être que le respect ultime, c’est de ne pas tout documenter. Juste écouter le silence qu’ils gardent.






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