12. chasser le singe, Privilège d'enfant

Chasser le singe, un privilège d'enfant en Amazonie. Les enfants de la jungle sont rapidement initiés aux coutumes usuelles d'alimentation que l'on appellerait probablement de la survie. Il est difficile d’expliquer ce que je ressens en ce moment. Fatigue, fascination, peur, tout se mêle dans cette forêt immense, écrasante, vivante. L’Amazonie ne se contente pas d’exister : elle engloutit.

Passer du temps a observer les enfants. Ils ont dix ans, parfois moins, mais déjà des gestes sûrs. Ils savent où trouver les larves comestibles, comment grimper aux arbres comme des singes. Eux rient de moi, gentiment. Ils m’apprennent, en jouant. Je suis leur jouet muet, leur "blanc qui ne sait rien".

Et puis, on annonce qu'un garçon, va partir "chasser le singe". Pas avec les autres enfants. Avec son oncle, un vrai chasseur. C’est un privilège, me dit-on. Un honneur rare. Comme une initiation. Il est prêt. Il est assez habile. Assez silencieux. Moi, je suis invité à suivre. Les bruits… c’est ce que j’ai remarqué en premier. La forêt ne dort jamais. Des cris perçants d'oiseaux invisibles, le bourdonnement constant des insectes, le craquement des feuillages, chaque son pourrait être anodin… ou le signe qu’un jaguar rôde à proximité.

Ce matin, le sol trempait encore des pluies de la nuit. Nous avons dû dégager un passage à la machette pendant des heures. Chaque pas est une épreuve : racines noueuses, boue jusqu’aux mollets, branches basses chargées de fourmis venimeuses. Je n’ai jamais autant transpiré de ma vie. L’humidité colle à la peau comme un linceul tiède.

Le guide, nous a appris à reconnaître quelques plantes comestibles, mais m’a aussi montré une liane toxique qui cause des brûlures si on la touche. Je n’aurais jamais imaginé une nature si belle et si cruelle à la fois. J’ai été piqué par quelque chose au mollet. Probablement un taon ou une araignée. Pour l’instant, rien de grave. Mais chaque petite douleur devient suspecte ici. Il faut rester alerte, tout le temps.

À midi, nous avons croisé une troupe de singes hurleurs. Leurs cris résonnaient comme des échos venus d’un autre monde. À vrai dire, tout ici semble irréel. La végétation est si dense qu’on ne voit le ciel qu’en fines découpes lumineuses. Par moments, on se croirait dans une cathédrale verte magnifique, mais étouffante.

Le jeune marche devant, l’arc en bandoulière, concentré. Je vois dans sa démarche quelque chose de nouveau. Une gravité. Ce n’est plus l’enfant des jours passés. C’est un garçon au seuil de quelque chose. Le singe qu’on cherche n’est pas un singe imaginaire. Ce n’est pas une fable. C’est un capucin, malin, farouche. Il vit haut dans la canopée, il vous voit avant que vous ne le voyez. Le tuer n’est pas simple. Le rater est une honte.

Le temps passent. On avance. On guette. On imite des cris. Et soudain, un bruissement. Un sifflement. Le jeune bande son arc. Inspire. Tire. Le cri du singe est bref. Le silence qui suit est immense. On entend soudain un bruit de feuillage dans la chute du primate. L'oncle va ramasser le singe.

Quand nous rentrons au village, le singe est là, sur les épaules de son oncle. Mort. Il marche la tête haute, les pieds crottés mais fiers. On l’attend. On l’applaudit, sans bruit, avec les yeux. Une femme lui offre un collier de graines rouges. Un homme lui tend un peu de viande séchée. C’est fait. Il est entré dans le cercle.

Et moi, je regarde ce singe mort, ses mains presque humaines, sa bouche entrouverte sur une dernière surprise. Je ne sais pas ce que je ressens. Ni joie. Ni tristesse. Juste une sorte de vertige. Le soir, autour du feu, les anciens parlent bas. Le vent souffle dans les feuilles comme un souffle d’ancêtre. Seul le chasseur enfant devenu adulte avec son exploit, le chef et les enfants auront le privilège de manger le singe ce soir. Le reste du clan et nous mangerons la pêche du jour.

"Ailleurs, les enfants veulent des écrans. Ici, ils veulent un arc."

"Ailleurs, tuer est un crime. Ici, c’est un passage."

11... retour en arrière ou la suite dans ...13